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crevette domestique
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21 mai 2007

Stone, le monde est stone

- Tu me promets de ne pas boire, hein ?

- Mais non, c'est bon, je suis pas stupide non plus...

- Sûr sûr, hein ?

- Mais oui, sûr sûr....

Je n'ai pas dû beaucoup insister pour obtenir les clés. De toute façon, à mon âge, je ne risque plus grand chose. Pas de menace de fessées, je demande plus par politesse qu'autre chose. Elle m'aurait dit non, je me serais quand même servi en faisant croire que je partais à pied. Je veux les clés, je les prends. Point barre.

Même si ma promesse n'était qu'une demi vérité.

Non, je ne boirais pas une goutte d'alcool, promis, juré, craché. Pour le reste par contre, je n'ai rien promis. Et ça tombe bien. Ce soir j'ai l'intention de tirer sur mon premier joint.

Dix huit ans, c'est un peu tard, j'en conviens. Mais jusque là, je n'ai pas voulu suivre la mode. Je trouvais ça con de reproduire le même schéma que les autres, de prendre la posture du rebelle en suivant le groupe des yeux rouges. Et puis ceux que je voyais fumer terminaient irrémédiablement seuls, l'air passablement embrumés, allant se coucher avant les autres, incapables d'articuler deux mots, tombant de sommeil comme des vieux papys fatigués.

Si la mode, c'était de ressembler à des centenaires de quinze ans, je m'en passais sans problème. Merci

Alors pourquoi ce soir spécialement ?

Il y a toujours plein de bonnes raisons dont on ne se souvient plus par la suite. Peut être simplement que j'étais prêt. Que je n'étais pas si loin, à peine deux kilomètres pour rentrer, et que j'avais de très bons guides à mes côtés. Notamment un ami, spécialiste en drogues douces, véritable expert en expédition mentale. Je me sentais en sécurité. Je ne me méfiais plus des joints. Et puis enfin, il faut bien essayer une fois pour se faire un avis.

Pendant que tout le monde roulait, j'allumais ma clope, attendant patiemment que les premiers collages se terminent.

En fond musical, les Floyds  nous jouaient la dépression en multipiste. Discussions classiques de mecs qui roulent

- T'entends le bruit du clocher derrière ? Ecoute... il y a même une voix d'enfant en surimpression...

- D't'façon, j'fait mon BTS,  voilà, après je leur dit c'est bon, quoi,  salut...

- La première fois, on était trois. T'sais c'est tout petit en fait. T'ouvres, tu lêches et t'attend un peu que les premiers effets montent...

- On veut s'installer là bas parce qu'ici franchement, c'est l'enfer. alors que là bas, c'est pas du tout la même logique...

Les premiers pèts passent de mains en mains. J'observe connement pour comprendre les coutumes. Comment il faut aspirer, combien de temps il faut le conserver, à partir de combien de tafs, ça devient impoli de le garder. Il y a plein de choses à savoir quand on veut s'initier. Mon guide me tend son premier joint. Petit sourire en coin.

- Alors... prêt ?

- Ch'ais pas... On verra...

Je tire dessus. Allez, mon gars, en route pour la joie. Mais d'abord une démangeaison au fond de la gorge comme si le tabac était coupé au poils. Je tousse un peu, l'impression de louper mon entrée. Il faut me ressaisir. Je tire en me tenant droit, histoire d'avoir l'air important. Je contrôle mieux la situation. Une dernière latte et je passe au voisin. Partageons, partageons, moi c'est juste pour l'expérience.

Alors, qu'est ce que ça fait ? 

Le pire ce serait de ne rien sentir. D'avoir juste l'air d'un con  qui ferait semblant d'être parti. De me donner l'air de planer pour passer inaperçu. J'en serais vexé. J'attends un peu, peut être vais je rire bêtement.  Je ne suis sûr de rien. En attendant, j'écoute les discussions.

- Sur le 33 tours, t'entends clairement "Paul is dead, we miss him" quand tu le mets à l'envers. Y a un bruit de flammes par dessus qui laisse aucun doute. Accident de voiture. Mort brûlé vif. Alors je sais pas, si ça se trouve, c'est un sosie qui chante maintenant... T'imagines...

- Je regardais le chat. On sautait de toît en toît. Je faisais les mêmes bons que lui, j'étais calé sur son rythme. On jouait tous les deux. J'allais de plus en plus vite. Je sentais le vent sur mes moustaches. J'ai perdu un ongle sur une maison molle. ça m'a déséquilibré. Je suis retombé sur mes pattes. Il m'a dit qu'on arrêtait. J'ai protesté en miaulant. On a repris la course

On me propose un nouveau joint. J'accepte volontiers. Il me faudrait bien ça pour accélérer l'effet.

- Après je pars en stage chez des amis qui tiennent un salon de tatouage. Ils m'ont déjà proposé,  à chaque fois c'est "tu viens quand tu veux, on te loge, on t'apprend". Ils ont l'âge de mes remp's mais c'est rien à voir. Chez eux, c'est la nature, y a des chèvres, y a du vrai lait. Ils ont pas de télé, tu vois. Eux au moins, ils ont vécu des trucs, ils sont pas enfermés... Y a du sens, quoi...

La tête me tourne un peu, la fatigue me tombe dessus. Comme si une chape de plomb venait d'être greffée sur le haut du crâne.

- Et puis les gens là bas, ils sont ouverts. C'est la misère et tout mais franchement, ils t'accueillent à bras ouverts. C'est toujours la main sur le coeur. Ils te donneraient tout  rien que pour tu sois bien.  Et puis, c'est pas les mêmes pauvres qu'ici. Je veux dire, y a des super pauvres, des ermites, des gens qui vivent dehors, qui sont sales et tout, et c'est rien, personne les chasse, y sont acceptés, tu vois...

Wooo, tu perds le contrôle, reprends toi... C'est pas le moment là. Non mais oh. Deux petites lattes et tu t'endors  ?? Même pour une première fois, c'est petit joueur. Ecoute plutôt ton guide là, il te dit un truc.

- Te couche pas surtout, ce sera pire...

Il a lu dans mes pensées. Je suis un livre ouvert. Tout le monde peut voir ce que je pense. Je suis nu devant l'assemblée. Ils font comme s'ils discutaient mais c'est pour mieux cacher que je leur fous la honte. Je suis sûr qu'ils se demandent qui m'a amené. Je regarde notre hôtesse. Une jolie brune avec un Keffié. Son mec vaguement barbu tire sur un nouveau joint. Mon voisin roule à côté de moi. Tout le monde à les mains bien occupées. Y a que moi qui fait rien, qui observe, qui se la joue bande à part. J'ai honte.

- Si tu sépares les pistes, t'entends bien le poème. C'est un dialecte allemand tiré d'un recueil écrit par le fondateur d'une secte satanique. Un type qui croyait qu'il fallait vivre sous terre pour éviter l'Apocalypse, pour se rapprocher de la base. Le bassiste était à fond là dedans. Il avait des théories sur le sacrifice, sur la valeur du sang. Les autres suivaient mais sans plus, vaguement en fait. Et c'est lui qu'on entend en fond. C'est comme une offrande. Il est mort quelques temps après. Une combustion spontanée en plein concert.

Je me sens comme sur un manège. Tout tourne autour de moi. ça va vite. Très vite. Je n'ai pas le temps de fixer mon regard que ça tourne encore.

- C'est sa mère qui l'a découvert. Il tournait sur lui-même à cause de la corde. T'imagines l'horreur ?? Moi, à  un moment, ça m'a traversé l'esprit aussi. Mais quand j'ai appris ça, recta, ça m'a calmé. Je préfère vivre, tu vois, et tant pis si on souffre. D't'façon, on vit pour souffrir alors ça sert à rien...

Mon estomac essaie de suivre le mouvement. Je ne sais plus comment me mettre. J'irais bien aux toilettes m'asperger le front. Je sue, je le sens, je goutte complètement. Il fait chaud. Je claque des dents. ça va pas vraiment.

- J'ai posé mon oreille dessus et la statue m'a parlé. Je savais que c'était pas vrai et en même temps... C'était réel. Elle m'a dit des trucs que je savais pas. Je lui ai demandé qui elle était, pourquoi elle était là. Et elle m'a répondu. Il n'y avait pas de son mais on se comprenait. C'était taré. Et j'ai vérifié après. Tout ce qu'elle m'a dit, c'était vrai.

La salle de bain se libère. Je fonce en me retenant de vomir. Toute cette fumée. Il faut que ça sorte. Je m'asperge d'eau froide. Rien n'y fait. C'est au fond de moi. J'ai envie de vomir mais je n'y arrive pas. Attendre, rester ici, attendre. Je m'asseois sur le siège et je le vois qui se moque de moi. Avec sa brosse entre les dents et son sourire moqueur. Il a beau n'être qu'un poster, je sais que c'est de moi que rit ce chimpanzé. Il n'y a personne d'autres ici. Pourquoi se moque t'il ? Je ne le connais pas. Moi, je le respecte. Et c'est facile de se moquer.

Je fais abstraction, je reprends mon souffle.

C'est le point qui faut faire. Alors, quelle est la suite à donner à cet évènement.

Soit je reste et demain, je ferais corps avec la moquette, je serais mort d'avoir trop fumé. On me cachera dans la cave et dans quelques années, je ne serais plus qu'un squelette bouffé par les rats. Tout ça pour une bête expérience d'un soir.

Soit je rentre.

Arriverais je à conduire  ? Rien n'est moins sûr. Mais il le faut. Je n'habite pas si loin, si je roule lentement, je devrais y arriver. Allez, on se lève, on dit au revoir avec un sourire. On quitte le lieu l'air de rien. Le but c'est de rentrer. Fuir. Allez, c'est parti. J'ouvre la porte.

- ... Ils se sont rencontrés dans une communauté. Elle était infirmière mais elle préférait le jonglage et lui, il avait toujours écrit des tracts pour les manifestations. Il y a eu un coup de foudre, tu vois, et ils sont partis se faire une idée du monde. Lui a trippé sur les Maoris, leur tatouage, les tribus et tout. Il a acheté des livres dessus, des tas de livres pour savoir comment faire, ce que ça signifie, qui est quoi. Y a tout un code pour être initié....

- Bon ben au revoir...

- Tu pars déjà ?

- Ouais, je suis....

- Tu veux que je te raccompagne ?

- ... Chais pas

- Assis toi, j'en roule un dernier et je te ramène...

- Non non, c'est bon, salut...

Je claque la porte. Fuir. Loin. Clé. Voiture. Starter. Moteur. Route. 'Tention en sortant. Merde. Putain de trottoir, je l'avais pas vu. Se concentrer. Route. Feu rouge. Je m'arrête. Vert pour le piéton. Triste bonhomme condamné à passer. Le rouge n'est pas mieux qui attend toute sa vie.

Vert, Première, tout droit, fourgon, flics, arrêt de voitures. Signe. "Rangez-vous". D'où j'arrive à traduire ça ?? Se concentrer. Merde. Merde. Et merde.

Ma promesse, ma crédibilité, ma vie. Tout est foutu. Je vais passer la nuit en taule. Je suis un criminel. Et si jamais j'avais eu un accident, hein, t'y as pensé au moins  ? Ma mère en pleurs. Ma famille déshonorée. Merde. J'aurais beau dire que je faisais du 30, ça ne changera rien.

Signe. "Baissez votre vitre". Où apprennent ils ce langage que tout le monde comprend ?

- Bonjour monsieur.  Contrôle. Couper le moteur, s'il vous plaît.

Racle ta gorge, prend un ton assuré. T'as l'air fatigué, c'est normal. Il est tard. Papiers du véhicule ? Je les ai, les voici. Permis ? Permis. Et les autres qui fument encore. J'ai la gerbe rien que d'y penser.

- Sortez du véhicule, s'il vous plait.

Merde, il m'arrête. Je suis le méchant. Ils m'ont eu. Ce soir, je dors au poste. La ville est tranquille. Le malfrat est sous les verrous, générique de fin.

- Vous allez venir souffler dans l'alcootest...

Pourquoi les génériques de fin sont ils si courts ? Il y a du monde pourtant. Et leurs familles aimeraient bien voir leur nom...

- S'il vous plaît...

Souffler. Je suis cuit. Il va le voir. Il le sait. Dans le fourgon, déjà quatre malheureux attendent. Depuis combien de temps ? Pourrais je pleurer un coup ? Est ce que ça se fait quand on est prisonnier ?

- Merci...

Je tends le ballon. Il prend son air sérieux. C'est pas la peine. Je sais. Autant y aller tout de suite. Faites moi une place. Ma mère va me démolir.

- C'est bon vous pouvez repartir....

...

Véhicule, clé, siège, ceinture, moteur, volant, première, en douceur, seconde, doux doux doux, troisième, da da da, feu rouge, is all I want to say to you... Clignotant. Ting Tong Ting Tong.  Vert. Je tourne...

Et je m'enfuis !!!!

Au final, j'arrive à rejoindre péniblement ma chambre après avoir trouvé la plus grande place ne nécessitant pas de créneau. Effondré sur mon lit, j'attends que le manège s'arrête. La terre tourne en disant "Allez, on y va messieurs dames, c'est samedi soir, tout doit tourner".

- Alors ??? T'es parti tôt samedi...

- C'est à dire que je me sentais pas très bien...

- Ouais, j'aurais dû te prévenir. Gégé, il met de l'opium dans sa beu...

- Ah oui, tiens, t'aurais du me prévenir...

N'oubliez pas le guide. Mon poing dans la gueule. Je ne l'oublie pas.

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Commentaires
R
Bougl >Je crois que l'opium casse encore plus...
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R
Tu m'étonnes mais les rues de banlieue la nuit, à part écraser un chat, il y a peu de monde. Sinon, c'était surtout un petit essai pour voir comment écrire en donnant l'impression d'être dans un état second. J'avais lu ça dans David Copperfield où le narrateur, totalement bourré, raconte sa soirée. <br /> <br /> Et désolé pour la dernière fois si je n'ai pas répondu mais c'est pas mal occupé en ce moment. <br /> <br /> Et content d'avoir un message de toi (ma parole, ça fait plaisir)<br /> <br /> A plus...
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B
Oui c'est exactement ça.<br /> Mais sans opium aussi d'ailleurs...
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L
putain, si c'est pas du gros vécu ça !!<br /> j'ai bien connu... et l'opium ça déchire grave les boyaux!! tu as eu de la chance de ne pas avoir eu d'accident !
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