Les Canines de la Mort
- Vous en faites pas, il est très gentil...
Pourquoi, les propriétaires de chien qui arrivent dans notre chambre d'hôte sont ils tous obligés de répéter la même chose ? Et pourquoi le dit chien n'est il jamais de la taille d'un chausson, plutôt de celle d'un molosse ?
- Et il raffole des caresses...
Mon fils s'approche, prêt à gratouiller le front du monstre qui inonde mon jardin d'hectolitres de bave. Je le retiens de peur qu'il se fasse gober d'un coup. Trop tard, la bête s'approche, intriguée, pour lui renifler le visage. Dans une seconde, mon fils n'aura plus de tête et l'on entendra son crâne se fendre au fond de la gueule du chien. Le pire c'est qu'avec son air de brute débile, il n'aura même pas l'air d'y prendre plaisir.
- En plus, il adore les enfants.
Je suis censé être rassuré ?
Mon fils, lui, est mort de rire. Cette truffe qui le chatouille, cette langue qui l'asperge, on pourrait croire qu'il l'aime bien. Alors que ce n'est qu'un stratagème pour attendrir la viande. La cervelle est bien meilleure quand elle est un peu mouillée.
Heureusement, surgit du fond du jardin, mon fidèle compagnon. N'écoutant que son courage, il court vers la bête et lui grogne dessus, s'interposant entre le monstre et mon enfant. Ah, il a fier allure, toutes crocs dehors, prêt à en découdre avec cet animal qui fait trois fois son poids ! Un protecteur comme on n'en fait plus. Un Rintintin des temps modernes.
- Rentre s'il te plait, maintenant...
- Mais papa....
- Rentre, j'ai dit...
Mon fils s'exécute. Mon chien reste sur ces gardes. L'autre semble trouver ça amusant, envoie un coup de patte qui le fait voler à deux mètres de là.
- En plus, il est très sociable...
J'essaie de sourire. Je n'en ai plus la force. Mon chien lui, ne sait plus où il habite. D'autant que la bête se met à aboyer, nous déchirant les tympans.
- Allez, le chien, attrape le bâton !!!
Je me retourne. Le monstre s'élance vers mon fils qui est ressorti en douce. Chaque pas fait vibrer le sol. Je lui ai appris à bien tenir le bâton, à le faire désirer, à le laisser au dessus de sa tête pour que le chien ne l'attrape pas. Dans quelques minutes, le monstre ira enterrer son bras au fond de mon jardin. Heureusement, je peux compter sur mon fidèle...
Ben merde alors... Mais où est il passé ???
Mon fils lâche le bâton. Le chien part dans l'autre sens. Un instant de répit.
- Rentre tout de suite !
- Mais...
- Cours !!!!
Derrière nous, la bête revient à toute vitesse. Pas le temps de discuter, j'attrape mon fils et j'entre chez nous en me collant contre la porte.
J'entends un aboiement. Puis un coup de patte griffue qui racle le bois. Je remarque mon fidèle lâche dans son panier. Il essaie de cacher sa tête sous sa patte. Une ruse pour que je ne le vois pas. Une ruse qui ne fonctionne qu'à moitié.
- Alors, c'est comme ça que tu défends mon fils ??? La chair de ma chair ??!!
Bien replier la patte, cacher les yeux et vous deviendrez invisible (règle 17 du Royaume Canin)
- Non mais tu te rends compte de ce qu'y aura pu arriver ???
- Papa...
- Quoi ????
- Derrière toi...
Pas la peine d'en dire plus, je sens sa truffe dans le creux de mes reins. J'ai déjà la fesse tout humide.
J'oublie souvent qu'il y a plusieurs portes pour rentrer chez moi.
Plus tu te replies, plus tu disparais (règle 18 du Royaume Canin)
Je me retourne le plus doucement possible. Il est là, avec son strabisme divergent et son bâton brisé qu'il pose à mes pieds. Un coup de tête affectueux dans mes boules, manière de dire "Allez, c'est à toi". Son maître se tient près de lui, avec un sourire satisfait.
- Vous allez voir, il est très joueur... ça vous embête pas s'il dort dans ma chambre ?
Je sens que le week-end va être long.
- Et si vous aviez une gamelle pour sa viande ce serait parfait...
Très long.