Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
crevette domestique
crevette domestique
Derniers commentaires
Archives
21 avril 2008

Il ne faut jamais dire fontaine...

219744

- Regarde Maman, la roue crache de l'eau !

- Et la dame... Tu l'as vu la grosse dame ? Attention, Jean Philippe, ne te penche pas trop, tu vas tomber...

Il ne va pas se noyer ton con de fils, il y a à peine vingt centimètres d'eau dans cette mare à la con. Et encore, uniquement les jours de pluie. Se réveiller là dessus, pour un peu, ça me foutrait la gerbe. Si j'avais la force, je le pousserais moi-même dans l'eau son nabot. Juste pour rire... Si j'avais la force...

J'ouvre un oeil. Même vu d'ici, on sent bien que le printemps revient. Le touristes sont là agglutinés autour de cette chose qui leur éjacule des hectolitres d'eau à la gueule. Ils filment, ils photographient, ils posent devant comme des blaireaux qu'ils sont. Et ils empiettent sur mon terrain.

J'ai du mal à me relever. Encore une nuit à dormir dans la rue. Une nuit de plus en attendant ce soir. A quelques mètres devant moi, une grosse dondon en bermuda fluo s'installe sur le rebord de l'installation. Elle croise mon regard, je lui envoie un sourire. Elle décline l'offre en regardant ailleurs.  Habillée en tue l'amour, elle n'a pourtant rien à craindre. Un petit sourire pour la photo. Mon Dieu, c'est encore pire que ce que je croyais. Quelle nationalité accepte des gens aussi laid ?   

Elle baragouine avec son ami. Supèwe ma chèwe, cé trou chou, no. Mare velleusse...

Américaine donc, élevée en batterie certainement. 

-Scusez-moi, monsieur, on voudrait jouer.

Je lève la tête, pratiquement jusqu'au soleil. Un gamin à ballon accompagné par deux autres morveux. Je tousse un peu et prend ma voix d'homme responsable.

- Sois gentil, gamin. Dégage ...

- C'est notre terrain. On voudrait jouer...

Il comprend le franglish, lui ou quoi ?! Je cuve, merde. J'irais nulle part. Le dimanche est à tout le monde et le mien, c'est ici. Va voir ailleurs, moucheron.

Le gamin se tourne vers ses parents qui brunchent en terrasse à quelques pas de là. Ils n'en perdent pas une miette.

- S'il vous plait. Je vais demander à mon père sinon...

Je lui lance un regard noir. Ce petit con le soutient. Je me redresse franchement. Debout, je suis plus grand que lui. Bien plus grand. Il recule un peu sans quitter mes yeux. Il est tendu. Je souris. Je suis le croquemitaine et je ne vais faire qu'une bouchée de toi, petit.

Deux flics en civil surveillent au coin de la rue. Je les connais bien. Eux aussi. Est-ce un crime de vouloir foutre une bonne frousse à un môme ? Regardez le... Ah, non, ça il n'a pas peur, il est carrément terrifié. Et il continue quand même à soutenir mon regard. Je ne résiste pas, il est trop fendard avec sa tronche de cake, il m'arrache mon premier vrai sourire de la journée. Il a quoi ? Dix ans, à peine. Il me rappelle un autre enfant.

- Et qui va faire le goal ?

Ils s'interrogent, personne pour répondre. C'est bien la peine de venir à trois si y en a pas un qui pense.

-Et si je gardais les cages ? Hein ?

Arrête de me regarder comme ça, Ducon. C'est une proposition honnête d'un type qui se réveille et qui cherche le compromis. Rien que de me relever, j'ai déjà mal partout. Alors en attendant que tout se remette en place. Je garde les buts. J'ai toujours gardé les buts. On regarde les autres s'époumoner sans rien faire. La vie comme je l'aime.

- D'accord.

ça le ravit pas des masses mais grâce à moi, il aura appris le dialogue. C'est bien mon gars, t'iras loin dans la vie. C'est une cloche qui te le dis. 

Le match s'engage, ses parents reprennent le fil de leur conversation. Les policiers arbitrent le match de loin, histoire de se divertir un peu.

Jeunesse pleine de vie qui dribble, passe, et... merde. C'est allé trop vite. Je n'ai pas eu le temps de voir venir. La balle est rentrée.

- T'es nul comme goal...

-Un peu de respect pour les anciens, s'il te plaît...

Il me renvoie un bête sourire. Et moi, bizarrement, ça me touche. ça me rappelle une vieille histoire, à quelques stations de métro. Une histoire de femmes, forcément. Tu ne peux pas comprendre; gamin.

- Attention !!!

En pleine tête, je l'ai pas vu venir... Tu parles d'un réveil...

- ça va ?

- ouais, ça va, ça va... Rejoue, c'est rien...

- Scusez-moi, hein..

- Ouais, ouais...

J'ai une photo de mon fils au fond de ma veste. Une vieille mais quand même. Je vais pas la sortir maintenant, j'aurais l'air d'un con. M'enfin, j'ai envie.... C'est comme ça, il me manque, c'est tout...

Si les choses étaient plus simples. Je passerais le voir. Si ça se trouve, ça ferait peut-être même plaisir à sa mère. Mais les choses ne le sont pas... y a pas à se prendre la tête. Coup de pied, je relance la balle.

Je suis en forme. Un bête ballon. Voilà ce qu'il me faut. Si j'allais le voir avec ça, peut-être qu'il comprendrait. J'ai eu peur, ça arrive. ça n'excuse pas la lâcheté mais c'est humain. J'ai pas demandé à être père, moi, au début...  Maintenant, c'est peut-être différent.

Rien que s'il prend le ballon, même s'il dit pas merci, je serais content. C'est rien, hein, c'est pas grand chose mais ça me ferait plaisir. ça voudrait dire qu'il ne m'en veut pas. Qu'il sait qui je suis. Qu'il n'a pas honte de moi. Et peut être qu'avec on pourrait jouer ensemble.

- ça va, monsieur ?

- ça va... C'est cette saloperie d'engin qui m'envoie de l'eau à la figure.

ça le fait sourire. Si j'ai la force dimanche prochain, je passerais voir mon garçon... Si j'ai la  force... En attendant, c'est la honte, je viens encore de me prendre un but.  

Publicité
Commentaires
Publicité