Méfiez-vous des plantes
Nous
avons beau rire bêtement sur les mêmes choses stupides, ma femme et moi
avons tout de même un point de divergence sur la nature. Quand pour moi, une
vache est d'abord un fromage qui me fait de l'oeil en rigolant, pour elle c'est
avant tout une bestiole qui broute joyeusement derrière un enclos. Elevée à la
campagne, elle sait ce que c'est qu'une plante, un potager, un jardin. Moi j'ai
tenté deux fois d'en élever. La première, un pissenlit en pot (paix à son âme)
est mort alors que je le nourrissais amoureusement d'eau et de soleil en le
mettant sur le rebord de ma fenêtre (où des travaux de ravalement avaient
lieu, ceci expliquant peut être cela). Le second a préféré mourir plutôt que de
me regarder jouer à la console.
Quand je l'ai rencontré, ma femme avait donc la main verte. Son studio était
végétal, remplie de plantes diverses et variées dont un énorme ficus qui
prenait une place folle dans l'appartement. Le bâtiment était moderne avec une
vue sans vis à vis sur un parc et un balcon rempli de ces petites choses à bac
qui demandent de l'attention en échange de rien. Moi j'étais plus animal,
vivant avec un chat qui demandait de l'attention et un bac propre en échange
d'un coup de griffe affectueux.
- Tu pourrais arroser mes plantes pendant mon absence ?
- Bien sûr, pas de problèmes....
Une telle mission ne manquerait pas de sceller notre relation Allez hop,
au travail, un peu d'eau et le tour est joué. Malgré le silence, j'entendais
les plantes frissonner.
Première victime, le ficus. Puisqu'il est grand et qu'il est gros, il lui faut
beaucoup d'eau. J'ai beau jeter des litres et des litres, ce ficus a tellement
soif que rien ne reste à la surface du terreau...
Et là, ami qui n'a jamais touché une plante de ta vie, je te conseille d'être
attentif si tu ne veux pas comme moi, créer un problème. Dans les bacs, il y a
des trous (cachés en dessous). L'eau s'y installe surtout s'il y a une coupe.
Mais s'il y a trop d'eau, la coupe déborde, et les crétins comme moi sont
obligés de passer une bonne demi heure à éponger le studio pour réparer leur
connerie.
Les deuxièmes victimes sont sur le balcon. L'une des plantes hésite à sauter
par la fenêtre. Au quatrième étage, elle sait qu'elle risque d'y laisser ses
feuilles. La bouilloire en main, je m'approche d'elle. Je ferme la fenêtre et
m'apprête à.... TU AS FAIS QUOI ?!?!?!?
- Et merde, me dis je en mon for intérieur.
Tellement stressé par ces plantes que j'en ai oublié la plus bête des
précautions. Me voilà bloqué sur une terrasse au quatrième étage d'un
appartement où personne ne me voit, en haut d'une rue peu passagère, à
une heure où les familles comme les étudiants sont chez eux à regarder
les infos. Je peux toujours hurler, je ne ferais que me casser la voix. La nuit
est tombée, ma femme ne rentre que dans une semaine...
Il n' y a plus qu'une solution...
Enjamber la barrière du balcon.
La fenêtre de la cuisine qui se trouve derrière la barrière est encore
ouverte.
Oui...
mais...
c'est haut...
Et si je tombe, c'est pour toujours...
Et je suis pas Belmondo...
Non, je crois que le plus simple, c'est encore de rester ici et de me nourrir
de plantes...
Comme ça, elles paieront pour ma distraction...
Après une bonne demi heure de réflexion dans le froid, je décidais de tenter le
tout pour le tout. Au péril de ma vie, n'écoutant que mon courage, je passe par
dessus la barrière, me jette dans le vide en fermant les yeux, mes mains
trouvant d'instinct la bonne prise pour s'accrocher à la fenêtre (tout ça est
très romancé). Je me tire vers l'avant et traverse la fenêtre. Je suis enfin de
retour, libre et vivant (et personne n'a rien vu de mon exploit, c'est quand
même rageant).
Je m'empresse de sortir de ce lieu maudit, je claque la porte, je cherche
les... les clés !! Elles sont à l'intérieur !!! Aaaaaaaahh !!!
Distrait un jour, distrait toujours....