Chassez le naturel...
J'y arriverais jamais. C'est pas possible. J'en suis plus capable.
J'ai jamais réussi. J'ai juste fait illusion. Tout le monde y a cru. Tout le monde pensait que j'y arriverais mais non, ce n'est pas possible. Je n'ai pas les moyens, je sais pas faire, je suis nul.
C'est tout.
Et puis c'est plus simple comme ça. Renoncer tout de suite avant que les autres ne se rendent compte. Personne n'aime se faire duper alors autant prendre les devants, leur montrer que ce n'est pas de leur faute, que je me suis juste trompé, je ne suis qu'un incapable, certes, mais un incapable qui reconnait ses fautes. C'est déjà pas mal même si c'est pas grand chose.
Je me donne de vagues ambitions mais c'est pour l'image.
En vrai, y a rien du tout.
C'est du toc.
Rien d'autre.
La preuve, j'arrive même pas à écrire.
Je sais plus faire. J'ai jamais su.
Les autres textes, c'était un accident.
C'est même pas vraiment moi.
Ou alors si mais sans le faire exprès.
Je suis né incapable, pourquoi ça changerait ?
Déjà petit, tout le monde avait des dons.
Qui était bon en math. Qui smashait comme personne. Qui avait dévoré l'œuvre entière de tel ou tel écrivain.
Moi c'était plus simple, j'étais moyen en tout.
Rien qui puisse susciter l'enthousiasme.
Un petit sourire d'encouragement à la limite, un petit air gêné pour dire que ce sera plus difficile pour moi que pour les autres.
Alors bien sûr, j'ai progressé.
Un peu.
Mais pas assez.
Alors autant abandonner.
On n'a qu'à dire que c'est la fin.
J'ai plus qu'à changer de voix.
Me lancer dans autre chose.
Pourquoi pas la boucherie ?
Ce serait plus simple.
Puis ça amène le sourire.
Un petit "Vous le faîtes revenir sur feu doux" qui fait plaisir.
Un "Vous mettez le thermostat sur 180" qui réchauffe le coeur.
Le tour est joué, la viande emballée et le passé bien enterré.
Qu'est-ce que je m'emmerde aussi à écrire ?
Chercher la petite bête alors qu'il y a des trucs plus faciles.
....
En même temps, boucher, c'est surtout de la barbaque.
De la découpe.
Et des cadavres.
Du sang plein le tablier.
La radio qui diffuse les Grosses Têtes.
La grand-mère qui bégaie mais qui veut toujours la même chose.
Celui qui vérifie qu'on l'arnaque pas.
Et celle qui pense qu'on l'empoisonne avec le haché.
Et puis les impôts qui nous tombent dessus.
Voir les jeunes qui trainent, si c'est pas malheureux.
Et ne penser à rien à la fin du boulot.
S'asseoir devant sa télé.
Regardez Joséphine et penser tête de veau.
Emballer les paupiètes.
Et pour la petite dame, qu'est ce que ce sera ?
....
Non non non non non
Porter des trucs ? Et puis quoi encore ?
Et puis l'odeur de la viande crue... je pourrais pas.
Sans compter qu'adroit comme je suis, je vais me couper un os.
Un bout d'ongle dans l'onglet.
Beurk.
Et puis la journée passe toujours avec les mêmes conversations.
On tente un peu d'humour qui tombe souvent à plat.
On est boucher, pas comique.
...
Et puis, je suis pas obligé d'écrire un gros truc.
Les pavés, personne ne les lit.
Alors autant faire court.
Et puis un mot poussant l'autre, on y arrive un peu.
Pas beaucoup.
Juste ce qu'il faut.
C'est plus une montagne.
A peine une colline.
Bref.
J'y suis arrivé.
Jusqu'à la prochaine fois...