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crevette domestique
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30 janvier 2012

Angoulême, on ne compte pas

Angouleme__Mairie___Panneau

 

- Angoulême, trois minutes d'arrêt. Les voyageurs pour Bordeaux restent dans le train. Je répète... 

Nous voilà enfin sur les terres angoumoisines, prêts à retrouver le festival, son humeur bon enfant, son architecture chabrolienne, ses commerçants souriants... Prêts pour une journée chargée en bande dessinée. Le programme est simple : allez tout en haut et profiter au maximum de l'ambiance.

Depuis que nous sommes arrivés, nous respirons BD. Nous voyons BD. Nous pensons BD.

D'ailleurs, autour de nous, tout n'est que luxe, punks à chiens et BD.

Besoin d'une coupe ? Chez Tifff'2000, on vous propose une Margerin valable pendant tout le festival.

Un petit creux ? Kébab et Lula vous propose sa formule Marsu (un kébab, des frites, une boisson). 

L'immobilier vous tape dans l'oeil ? Immo Futur vous fait une offre que vous ne pouvez refuser : un immeuble acheté, un Largo winch offert.

- Hè, t'as vu, ils ont graffé Lucky Luke  !

Techniquement, ce n'est pas un graff'. Plutôt un collage ou du papier peint. Mais c'est vrai que ça en jette. La première fois. 

Allez pas de répit, il faut grimper. Passer l'assureur et sa promo Gaston, le boucher et son faufilet Ric Hochet, l'auto-école remplie d'Agent 212. Et enfin, le Graal, la ville, Angoulême.

- Y paraît qu'y a Aude Picault qui fait un concert de bande-dessinée...

- Cool ?

- A quelle heure ?

- Où ça ?

- ... avec Jean Claude Vannier

- Cool ?

- A quelle heure ?

- Qui ça ?

-... Non mais laissez tomber, on aura pas le temps.

- J'ai jamais vraiment aimé...

- Moi, je connais pas...

- Si t'écoutais de la musique aussi, au lieu de lire tout le temps. 

Pendant un instant, c'est le calme. On regarde un ban de collégiens qui se dirige vers le stand Mangasie.

- Tiens, vous avez vu ?

- Quoi ?

-Le type qui fume là...

- Ouais...

- Et ben c'est un auteur hyper connu...

- Ah...

Enfin, nous y voilà. Devant nous, le nouveau monde. Enfin, la bulle Nouveau Monde. La bande dessinée indépendante... Les jeunes, les fous, les poètes. Les marginaux en somme... Ce n'est plus la peine de rigoler. Fini la bd à la papa. Ici, on est entre connaisseurs. Loin du marché, c'est de la vraie émotion qui bat sous cette tente.

- N'empêche, c'est moche.

- C'est surtout pas pour toi.

Je fais un petit sourire à l'auteur, qu'il comprenne que tout va bien, que je gère la situation, qu'il peut retourner à son dessin qu'il ne faisait que pour s'occuper. On adore ce qu'il fait mais on prendra pas.

Moi j'aime mais là, il y a un problème de cible. Pas le bon âge. Graphiquement pas top. Propos moyennement pertinent. Mais sympa. Continue. Je fais semblant de m'intéresser à son gribouillage. Cette femme aux fesses charnues qui tente de battre un dragon avec une dague et un string veut dire quelque chose, j'en suis sûr. Je ne serais pas en famille, je prendrais le temps d'en parler. Peut-être même que j'irais chercher des bières. Mais aujourd'hui, c'est niet. On continue.

On passe une nuée de barbus en tee-shirt Goldorak, d'émos en collant rose fluos, s'arrêtant parfois sur un stand pour feuilleter quelques bds.

- On peut tout lire, tu crois ? 

Et d'un coup, je le remarque. Il est seul, roulant sa clope pour passer le temps, le regard perdu, pensant certainement à sa prochaine bd.

- Attendez-moi deux minutes, il faut que je...

Il faut que je trouve un truc à faire dédicacer. J'ai tout lu de lui, j'ai tout aimé. Il m'a parlé. J'ai ri avec lui. J'ai mal vécu sa séparation avec lui. Je suis allé chez le coiffeur avec lui. Et même au petit coin, j'étais avec lui. Mais j'ai tout lu. Il n'a rien fait depuis. Et il prend le temps de rouler des clopes... Feignasse.

- J'ai... J'ai tout lu de vous !!

C'est sorti dans la panique. J'aurais aimé lui dire qu'il avait touché juste, que même un petit dessin sur un coin de table, ça m'aurait fait plaisir. Mais c'était trop tard. Il n'y avait plus rien à dire. Lui a sourit. Poliment. M'a regardé d'un air gêné. J'ai mis un peu de distance, qu'il se sente plus à l'aise. Et il a repris son collage comme si de rien n'était.

Nous ressortons sous la pluie.

- Et si on allait voir au théâtre, il parait qu'il y a une belle exposition.

... Autour un homme emprisonné et torturé qui va découvrir la souffrance morale et le viol en groupe, ainsi que la pratique brutale du fist-f..

- Tiens, il fait beau, on y retourne. 

- J'ai mal aux pieds. 

- Et bien dommage pour toi car c'est pas fini.

En effet, j'ai gardé le meilleur pour la fin. La tente des éditeurs. Des vrais. De ceux qui font des séries comme Boule et Bill. Un temple dédié à la bd de qualité.

- Tu peux me porter ?

- Tu rigoles ?

-Je peux plus avancer.

- Non mais c'est parce qu'il y a plein de monde et... Tiens, t'as vu qui dédicace là-bas ?

- Non...

- Mais si, l'affichette au-dessus. C'est le type de tout à l'heure.

- Je le vois pas.

- Mais moi non plus, mais lève les yeux... Tu vois l'affichette ?

- Papa...

- Et ben, c'est lui ! çui qu'on a croisé dans la rue. Je t'avais dit qu'il était connu !

- Je veux rentrer.

- Attends, regarde là-bas, y a Midam. Si on attends maintenant, dans deux heures, on aura un beau dessin. ça vaut la peine, non ?

- Je veux rentrer.

- Moi aussi.

- Mais vous sentez pas la Bd, là ?

- Il fait trop chaud surtout.

- Il faut que vous respiriez BD. ça va passer, promis.

- Papa...

- Bon, ça va. Mais venez pas vous plaindre après.

Nous nous extirpons difficilement de la bulle. Il fait froid, gris, presque nuit.

- Qui veux un sandwich Ducobu  ?

Visiblement personne.  Il ne sont plus BD. Le mur Lucky Luke ne leur fait plus ni chaud, ni froid. Ni la pizza aux six Schtroumpfs. Ni tout ce que nous découvrons en retournant à la gare.

- Le TGV pour Paris partira de la voie 2, je répète...

Nous voici confortablement installés dans le train, les bras chargés de bandes dessinées à dévorer sur place.

- Papa, je peux jouer à la DS ?

- Tu veux pas lire plutôt ?

- Non...

- Et toi, tu ne veux pas...

-Chttt

Elle a les yeux fermés. Elle s'apprête à dormir. Tant pis. Ce fût une belle journée.

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Commentaires
R
Merci. Et puis comme ça, on évite le bain de foule.
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G
Plaisant et réaliste, surtout pour qui n'y fut pas.<br /> <br /> (fut, sans circonflexe)
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