L'an 2000 raconté à mon fils
Prologue
- Vous m'avez sonné, monsieur ?
- Oui Georges, qu'on ne me dérange pas, je m'apprête à blogguer.
- à blogguer, monsieur ?
- Oui, Georges... A blogguer, comme les jeunes. Je vous fait confiance, vous pouvez garder le secret ?
- Et si madame me demande ?
- Je ne sais pas... Inventez... Dites que je suis parti à la chasse...
- Bien monsieur... Mais puis je rappeler à Monsieur que le bloggage est tout de même une activité un peu...
- Georges...
- Oui, monsieur ?
- La paix.
- Bien monsieur...
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- La lumière existait déjà en ce temps là, comme la télé et les Cédés...
- Les quoi ?
- L'ancêtre des MP3... Nous avions revendu nos vieux disques vinyles pour acheter des "lasers" . Le câble était installé dans quelques maisons qui recevaient pas moins de vingt chaînes en premier abonnement. A cet époque, l'internet était un nouvel outil de télécommunication. Nous avions devant nous (petite larme dans l'oeil gauche, "Ainsi parlait Zarathoustra" en fond sonore )...
LA REVOLUTION CYBAIRE
Nous étions émus à l'idée de télécharger pendant trois heures les cinq premières minutes pixellisées de l'épisode des Simpsons diffusé le samedi suivant sur un écran vingt fois plus grand que le format timbre poste proposé. Nous étions fiers à l'idée d'avoir une adresse email, même si personne ne nous écrivait puisque personne n'utilisait le waib. Nous rencontrions moults gens heureux dans des cybercafés, collés à leur écran répétant inlassablement "ça charge" à qui leur demandait si ça allait. On pouvait voir le temps à Miami, écouter des pubs en suédois, et tchater avec des Canadiens. C'est à cette époque que j'ai choisi mon pseudo "ranx" pour faire croire à mes interlocuteurs que j'étais aussi baraqué que le personnage de bédé, alors même que mes muscles étaient déjà sculptés dans le Nutella. Nous étions heureux, nous étions insouciants, nous n'avions peur que du bug...
Heureusement, l'an 2000 s'est fait en douceur avec son cortège de nouveautés. Finie la voiture à Papa, bonjour l'aéronef qui permettait d'éviter les bouchons en survolant le ciel. Les thermodactyles furent renvoyés à la préhistoire. De nouvelles tenues intelligentes prirent le dessus, nous réchauffant quand nous frissonnions, nous rafraîchissant au moindre coup de chaleur. La lumière a été réinventée selon plusieurs critères. Il suffisait de demander pour avoir dans son habitat, un "bleu printemps", un "jaune électrique" ou une "aube Indienne".
Les petits robots s'occupaient des tâches ménagères. Nous gagnions du temps grâce aux cabines de télétransportage. De nouvelles religions firent leur apparition, nous demandant de nous méfier des paradis virtuels (qui, a l'époque, n'étaient que des gros carrés animés collés contre nos yeux). Les pistolets lasers causèrent bien entendu quelques morts par désintégration et il n'était pas rare que le vent nous envoie à la figure les cendres d'une nouvelle victime.
Tout ça c'était bien beau... pendant un temps.
Au bout d'un moment, nous en avons eu marre de machouiller des pilules de lapin au pruneaux, de porter par tous les temps des combis pyjamas, de nous cogner dans des aéronefs trop petits, d'entendre chaque soir le Bidibidi des robots heureux de voir leur maître rentrer à la maison. Si le futur était là, mine de rien, nous nous disions tous que c'était mieux avant.
Nous avons alors ressorti nos vieux ordinateurs. En bidouillant un peu, nous avons eu accès à nos boîtes aux lettres. Nous n'étions plus seuls. Bien au contraire. Plus personne ne voulait de l'an 2000. Et tous le faisait savoir par voie cybairienne.
La voiture à Papa est ressortie du garage (équipée d'un GPS), les robots sont morts par manque de piles, le bio a fait son apparition, la télévision est revenue dans les foyers (les Simpsons nous manquaient), nous avons repris le chemin du métro en rajoutant un "Gaaare de Lyon... Gaaaare de Lyon" quand nous nous approchions de la station. Et puis, d'un coup, toute cette technologie nous a rappelé que la vie, c'est aussi un corps, des envies, de la magie...
Et nous avons... enfin, comment dire... Bref, tu es né... Voilà...
- Et ?
- Et nous étions heureux. Ravis de voir que sans les machines, nous pouvions vivre un moment de pur bonheur. Nous avons gambadé dans les plaines en machouillant des brins d'herbe, épanouis par l'idée que le naturel est une valeur constamment renouvelée...
- Et ?
- Et si tu pouvais éteindre ta console qu'on puisse enfin se balader...
- Ok si tu éteins ton ordi...
- Non mais ça va pas !? J'ai la troisième saison qui charge...
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Aprèlogue
- Monsieur ?
- Georges, s'il vous plaît, amenez moi un chevreuil mort, j'ai fini de travailler...
- Monsieur est satisfait ?
- Mmouais, il me manque une fin...
- N'est ce pas le drame de notre vie, monsieur ?
- C'est pas faux. Merci, Georges. Vous êtes un vrai philosophe.
- A votre service, monsieur...