La vie des Hauts Games
Retour au bureau après
le déjeuner. Je fais le code d'entrée, débloque la porte et me retrouve
en face d'une collègue en pleine panique. Depuis cinq minutes, elle
essaie d'ouvrir sans succès. Elle a cru que jamais plus, elle
ne sortirait de cet open space.
- J'ai tout tenté, me dit elle d'un air effondré, je n'ai pas réussi à trouver la solution...
- Et le bouton "porte" ?
- ...
- Regarde à gauche, juste à côté du bouton de la lumière...
Outre le fait qu'il faut être relatiment stupide pour s'exciter sur une
porte sans chercher le moindre bouton, cet exemple réel montre bien
qu'il y a désormais dans ce monde deux catégories de gens : Ceux qui ne
jouent pas aux jeux vidéos et les autres.
Quel rapport entre cette situation ridicule et ces univers virtuels qui
donnent envie aux jeunes d'aujourd'hui de descendre dans la rue pour
tout casser ? Laissez moi vous l'expliquer.
Tout d'abord, rangeons les armes et les préjugés au vestiaire. Les jeux
vidéos, ce n'est pas uniquement envahir l'Irak en bande par douze ou
fusiller un conducteur qui refuse de vous céder son véhicule. Ce n'est
pas non plus qu'une question de coups de poings dans la tronche et de
combos blaster qui envoie votre adversaire s'écraser comme une merde
sur la première montagne venue.
Non, ce n'est pas que ça les jeux vidéos, madame.
C'est aussi un élevage de famille, une succession de lieu à visiter,
des histoires sur soixante heures, des courses de chars antiques, des
ponts à reconstruire, des gestions de parcs à thème et des cours de
guitare sans corde. C'est aussi, dans la majorité des cas, des énigmes. Et qui dit énigme, dit résolution.
Observons donc l'expérience qui suit.
A) Le non-joueur : il se retrouve dans une situation problématique par
exemple, une porte qui refuse de s'ouvrir, il essaie plusieurs fois le
même mouvement, d'abord poliment de peur du quand dira t'on puis avec
plus de vigueur, y rajoutant de la force et de la conviction. Il perd
peu à peu patience, il repense à ce vieux film où un homme est coincé
durant un week end dans l'ascenceur d'une tour, condamné à écouter de
la trompette. Il refuse de subir le même sort d'autant que le jazz
l'insupporte. Il est maintenant déchainé, il fait comme dans les
Starsky et Hutch, il prend de l'élan pour enfoncer la porte qui
pourtant ne cède pas d'un pouce. Il panique, lance le distributeur
d'eau qui ne fait rien qu'à l'humilier en le
trempant jusqu'aux os. Après y avoir laissé ses ongles, il décide de
choisir une solution plus radicale. Il ouvre la fenêtre et réussit
enfin à rejoindre l'extérieur avec, toutefois, de multiples
contusions, à cause de la position de son bureau, situé au quatrième
étage.
GAME OVER. SAME PLAYER, SHOOT AGAIN ?
Yes No
B) le joueur : Il avance vers la porte, elle refuse de s'ouvrir.
Problème. Réflexion. Recherche d'items dans son inventaire : un lecteur
Mp3, un casque de musique, quelques tickets de métro, une carte
bancaire. Patiemment, il tente la manoeuvre avec chaque élément en se
disant "cet objet ne peut pas vous servir ici".
Il s'arrête une seconde, le temps de réfléchir. Si quelqu'un a mis
cette porte ici, c'est bien pour qu'elle s'ouvre. Mais comment s'ouvre
t'elle ? Il refait le chemin inverse jusqu'à son bureau, à la recherche
de la moindre anomalie dans son décor quotidien. Une gravure qui n'a
rien à faire là, un endroit discrètement surélevé par rapport au reste
du sol. Par prévention, il attrape un carton qui lui servira peut être
à écraser un bouton secret lequel déverrouillera certainement la porte.
Enfin, il aperçoit les boutons sur le mur. Il pose son carton, appuie
sur le premier. La lumière s'éteint. "hin hin" pense t'il en hochant la
tête. Il rappuie dessus, la lumière revient. Réflexion, déduction. "Si
ce bouton sert à la lumière, qu'en est il du second ?" Il appuie, un
bruit lui fait comprendre qu'il est temporairement libéré. Il se
dépêche de sortir. Il a gagné ! Il sautille de joie et exécute une
danse incroyable sur un rythme de musique victorieuse qui ne se joue
que dans sa tête.
Après avoir compris le fonctionnement de l'ascenceur, il rejoint
l'extérieur avec un grand sourire et un nouveau niveau d'expérience
(Ouverture Porte+2). Bref, il est heureux.
Pour autant, les jeux peuvent donner lieux à quelques petits effets
pervers. Qui n'a jamais poussé une statue de toute ses forces pour voir
si elle ne cachait pas quelques passages secrets ? Qui n'a jamais
empilé les cartons de meubles à monter dans un Ikéa afin atteindre le
niveau supérieur des étagères quand bien même il n' y a rien à voir là
haut ? Qui n'a jamais joué avec son chewin gum à peine recraché avec
l'espoir d'en faire une boule si grosse qu'elle bloquera toutes les
rues jusqu'aux Champs Elysées ? Enfin, qui n'a jamais invoqué des
divinités dans l'espoir secret qu'elles fassent fuir
la bande de cailleras qui en veux à votre blouson ?
Dans ce cas, même si vous mourrez sous les coups de latte, il est toujours intéressant de se poser la bonne question :
VOULEZ VOUS RECOMMENCER ?
Oui Non