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crevette domestique
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23 avril 2008

Les années Stupeflipper

Mon ancienne école m'a appris que bientôt, j'aurais peut-être la possibilité de revendiquer un bac +5 ou une équivalence DESS. Bref, un truc musclé qui prouverait à la face du monde que j'ai fait des hautes études et qui me permettrait de dire à mon fils "Tu vois mon gars, ton père en a sué pour arriver là." ça fera joli pour les dames, ça rendra tout le monde fiers de moi et remontera un peu mon estime personnelle.

 

Pour autant, ça m'amuse de penser que j'ai fait des hautes études. Car même si j'ai bossé, j'ai quand même passé beaucoup de temps à observer avant de m'y mettre. Bon, c'est vrai, on peut aussi dire que j'ai franchement glandouillé.

 

Avant d'être accepté par mon école (j'ai tenté trois fois le concours), j'ai passé  une bonne année, peut être plus, les mains collées à un flipper. J'avais reçu un héritage qui me permettait de prendre un peu de recul sur la vie (oh comme c'est joliment dit), de vivoter dans mon coin et, par manque de caverne, je n'ai pas eu d'autres choix que d'aller me réfugier dans le premier café du coin. 

L'endroit permettait de retrouver chaque jour  les mêmes gens au même endroit à la même place. Un avantage non négligeable pour quelqu'un comme moi qui, à cette époque assez agitée, avait franchement besoin de repères. J'avais un vrai plaisir à rejouer chaque jour la même partie et à observer mes camarades de comptoir.

 

Le patron derrière sa caisse qui me laissait jouer sans broncher (je gagnais tout le temps) et qui me lançait parfois un coup d'oeil embarrassé, me prenant un peu en pitié, l'air de se demander ce que j'allais devenir à forcer de rester là à rien foutre. Qu'il se rassure, je me posais la même question.

 

Le garçon de café ensuite, élevé à l'humour de serveur parisien, pince sans rire et ironique, prenant un malin plaisir à se moquer de ses clients, en rajoutant une couche de mordant quand ces derniers ne comprenaient pas son humour.   

 

A l'autre bout du comptoir, le syndicaliste et son disciple. Vraisemblablement, ces deux là travaillaient à la poste d'en face mais leur bureau se trouvait à mi-temps, de ce côté-ci de la route. Les discussions commençaient souvent par"Jean Claude, tu te laisses trop faire" avant de se terminer, quelques heures plus tard, par un "Tu m'énerves, tu comprends jamais rien". Et le Jean Claude d'hausser les épaules en attendant que le vent passe. Parfois, le mercredi, ils s'y mettaient à deux pour l'éduquer. Avec des comme lui, le Grand Soir ne serait pas pour demain. M'enfin, avec un peu de patience, il fera un bon soldat. Eux s'imaginaient déjà en généraux dirigeant les opérations. En attendant, ça picolait doucement. Je retrouvais un peu l'ambiance du "Ventre de Paris" de Zola, cela d'autant que tout se passait derrière les Halles. Malgré tout, on était encore loin de la Commune. 

 

Vers 13h00, le commercial venait glisser sa pièce dans MA machine. Un sandwich vite avalé, un demi bu vitesse grand V et des grandes claques sur le flipper pour faire passer le tout. Si ça ne fait pas gagner, ça défoule. Il parlait peu, gagnait encore moins, soupirait souvent et repartait, au final, en me laissant plusieurs crédits.

 

Dans un coin, deux anciennes mannequins grignotaient leur croqu' -salade. L'une le tartinait d'une montagne de moutarde, petit geste de rébellion quotidien.  ça papotait en regardant la rue, parlant des nouvelles, des anecdotes de bureaux et des prochaines collections. Parler du boulot au moment de la pause visiblement, ça décompresse.

 

Vers 17h00, c'était le couple. Le grand maigre et la petite mouche. Il avait l'air gentil quoiqu'un peu mou. Elle au contraire était un vrai paquet de nerfs qui se lâchait une fois la machine en main. Elle serrait les dents, suait un peu tandis que son supporter préféré se faisait charrier par le garçon de café.

 

Une heure après, mes cours se terminaient.  Je laissais la place aux étudiants du soir, ceux qui après une journée de taff, se retrouvent pour prendre l'apéro et claquer quelques parties. Une petite heure avant de rentrer chez eux, retrouver femmes et enfants. ça discutait football, blagues gentiment cochonnes et médisances. Bref, ça m'intéressait moins.

 

Je ne faisais rien et pourtant j'avais l'impression d'apprendre. Simplement parce que j'observais. Personne ne me disait quoi faire ou comment. Une vraie parenthèse de liberté surtout pour un étudiant. Au final, ces quelques moments m'ont même servis à écrire la lettre de motivation de mon école. Je l'ai faite sur le mode de la discussion de café en m'inspirant de mon syndicaliste et de son disciple. Visiblement, ça a amusé tout le monde. 

 

Avec un sourire, j'ai été accepté.

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