Les stagiaires d'été
Ils sont parmi nous
- Alors euh.. comment je
fais... attendez hein parce que... Gisèle ?... Gisèle, tu peux venir s'il te
plaît ? J'ai un problème avec monsieur...
Vous qui bronzez sans me
voir, loin des turpitudes citadines des travailleurs cosmopolites
aoûtiens, passez ce post qui risque de gâcher quelque peu vos
vacances. Pendant que votre peau se dessèche et noircit au gré de vos
grilles insouciantes de sudoku, la ville est à nouveau envahie par ces
travailleurs de l'été. Comme chaque année, ils reviennent démolir votre
organisation, commettre des erreurs qui vous vaudraient la porte mais
qu'on leur excusera du fait de leur position, dévoiler vos points faibles qui
vous feront perdre toute crédibilité auprès de votre service.
- Excusez moi monsieur, y
en a pas pour cinq minutes, monsieur... Je suis désolé hein...
Ils sont la terreur des
grandes vacances, un véritable carnage pour l'organisation, la synergie et
le managering de votre entreprise (houlà, tous ces mots, ça me donnent mal à la
tête), ils sont partout, ils sont peut être même dans votre famille,
ils sont...
Les Stagiaires
-Non parce que j'ai
rappuyé sur bis et ça m'a compté le total deux fois mais je suis pas
sûre.... Et miiiiiince, je crois que je me suis gouré... Comment
qu'on fait pour revenir en euros ?
Soyons juste.
Petit, moi aussi, j'ai été
stagiaire, j'ai cassé des voitures professionnelles (enfin une), j'ai commis des
impairs, j'ai mis des costumes cravates qui ont fait très plaisir à ma
maman mais m'ont foutu la honte sévère, j'ai été sous les ordres de gens
qui m'ont regardé de haut (quand j'avais l'honneur d'être remarqué), j'ai
laissé des crottes de nez sous leur siège pour dénoncer
leur attitude négative, j'ai découvert la subtile musique
d'attente des téléphones professionnels (pas trop agressive, pas trop
personnalisée) et l'exotisme de l'éclairage au néon, j'ai créé le
désordre sur le bureau d'une assistante en cherchant
un Post-it et commis quelques bourdes sans
véritable importance comme dessiner sur les factures en cours
ou arriver douze heures en retard. En somme, des petites bricoles dont on
rigole après quand on est partis loin de ce monde qu'est l'entreprise en
période d'été.
Mais aujourd'hui, j'ai des
responsabilités, je suis un homme anobli par le temps, un professionnel
reconnu, un responsable qui ne commet plus aucune faute et file droit dans ses
baskets du vendredi (Friday wear
oblige). J'ai oublié cette époque épique où le futur était incertain,
où je n'étais pas bien sûr de comprendre tous les rouages de
l'entreprise, où pour faire patienter, je devais dire :
- Vous êtes sûrs que vous
voulez une facture ? Non parce que... alors... Attendez... Gisèle...
Gisèle !!! J'ai un autre problème...
Bref, j'ai changé un peu et
c'est d'un regard amusé que je remarque cette multitude de stagiaires qui
prolifèrent en votre absence dans les bureaux.
A quoi reconnaît-on un
stagiaire d'été :
Tout d'abord, il est bon de
préciser qu'il y a stagiaire et stagiaire. La première catégorie est souvent
d'origine étudiante, reste un bon moment dans vos locaux, est super
jeune dans la tête, à l'esprit frais, ouvert et plein d'espoir en
arrivant (à les regarder, on dirait une pub pour les banques à l'intention des
15-25) avant de repartir dégoutés, pauvres et vieillis quelques mois plus
tard généralement, au moment où arrive la seconde caste de stagiaires,
celle dite "d'été".
Ces nouvelles
recrues souvent plus jeunes, viennent du lycée, découvrent un monde
jusqu'ici réservés à Papa Maman, n'ont que peu de fantasmes sur
cet univers où les discussions tournent autour des prochains congés payés,
des émissions vues la veille et des courses faites en famille le
samedi.
Les stagiaires d'été se
décomposent en plusieurs familles. En voici quelques-unes :
Les Séducteurs
A l'aise en toute
situation, les séducteurs ne sortent jamais sans leur sourire en coin et leur
assurance sans faille. Dés la première journée, ils font le tour des bureaux
afin de sympathiser avec tous les membres de cette fabuleuse famille que l'on
appelle l'entreprise. Ils arrivent même à créer la jalousie quand
ils font sourire la collègue que tout le service essaie désespérément
de séduire depuis des années.
Conscient de son
potentiel, le séducteur sait que sa jeunesse est un suppositoire
qui permet de faire passer les choses en douce auprès des
autres. Son intention est de bien s'amuser durant son court passage,
de gagner du temps et si possible de combler ce fantasme d'adolescent qui
consiste à coucher avec une femme plus vieille (disons 25-30 ans
maxi) si possible mariée laquelle lui donnera l'assurance de ses
prochaines années en lui confiant quelques conseils susceptibles d'améliorer
son potentiel sexuel.
Les femmes le considèrent
comme le chouchou, le gentil, le prometteur, le sympathique, le on en fait
plus des comme ça, le ohhhh il est kro mignon (quoiqu'un peu jeune). Les hommes
le détestent et ne cessent de lui demander des tâches ingrates comme répondre
au téléphone ou aller chercher un colis à la Poste pour l'éloigner au plus
loin du bureau.
C'est d'ailleurs avec un
plaisir pervers qu'ils abusent de son principal point
faible : l'organisation.
Demandez lui de
trouver quelque chose, il vous renverra son plus beau sourire, vous
demandera des nouvelles du petit dernier, parlera d'un superbe film qu'il
aimerait voir avec vous (si jamais vous êtes libre ce soir) et rigolera
encore de quelques anecdotes afin de vous faire oublier qu'il ne
sait pas où est ce que vous lui demandez, quand bien même, son coude
s'appuie dessus depuis une heure.
Une fois retourné à son bac
pour une nouvelle année, la tension érotique remonte sensiblement chez les
hommes tandis que les femmes n'ont plus la tête à ça, trop de boulot, trop de
problèmes familiaux et l'automne qui s'annonce... Non, franchement, pas
maintenant....
Son départ laisse des
traces et à cause de ce petit con, il vous faudra bien une année
pour obtenir un sourire de la collègue que tout le monde essaie désespérement
de séduire...
L'ex Gothique
Son regard lourd
de sens vous faire comprendre qu'elle n'est là QUE pour
financer son prochain trip à Londres. Habillée en Barbie Travaille, l'ex
Gothique vous déteste, vous et le monde aseptisé de l'entreprise qui
l'avez obligé à abandonner ses vêtements noirs pour une tenue d'été plus
colorée. Humiliation suprême, le chef de service lui a demandé de jeter un
voile pudique sur son magnifique tatouage, sa fierté, sous prétexte
qu'il faisait peur à la clientèle. Heureusement, elle a réussi à garder la
majorité de ses piercings, notamment celui situé sur sa langue
qu'elle exhibe par provocation autant que par amusement.
Eternelle incomprise du
service, l'ex Goth ne cesse d'alterner entre la
séduction et la révolte. Elle est constamment en quête
d'un partenaire capable de l'aider à faire exploser les normes de cet
univers kafkaïen. Si vous ne trouvez plus vos affaires, si vos trombones
forment une magnifique farandole, si votre poubelle explose et qu'il manque une
fiche pour brancher votre ordinateur, ne cherchez plus, c'est l'ex Goth qui
vous dit fuck à la société. Dans sa tête, c'est un Fight Club permanent et elle
espère par ses actions, vous montrer la voie de la liberté contre
l'aliénation. Elle rêve d'un budget hollywwodien pour faire péter l'immeuble.
En attendant, elle redécore le ficus de l'entrée à la sauce Manson.
Si grâce à elle, les
hommes du service retrouvent une seconde jeunesse (certains se sont même remis
à la guitare), les mères de famille s'inquiètent devant ce vampire des temps
modernes qui risquerait d'envoûter leur fils du même âge. A peine deux
semaines après son arrivée, des rumeurs circulent sur les mutilations qu'elle
se fait régulièrement aux toilettes. C'est bien simple, les autres femmes
n'osent même plus y aller.
A force d'efforts et de
gentillesse, elle finira par s'intégrer à cet univers a
priori hostile, au point même de faire partie du décor. Son départ
sera même un petit pincement pour certaines collègues qui la trouvaient plutôt
attendrissante, et pas si conne que ça au final.
De temps en temps, elle
donne des nouvelles, sans jamais reparlé du portefeuille qu'elle vous a
gentiment piqué, un midi où vous aviez laissé votre veste. Peut-être est-ce
grâce à lui, plutôt qu'à son maigre salaire, qu'elle a pu faire les
vitrines de la capitale anglaise et s'acheter ce nouveau piercing
qu'elle exhibe fièrement.
Le fils idéal
Le premier jour, il a
mis trois heures à se préparer avant de venir travailler. Sa famillelui a
dit que pour bien commencer le plus important c'était de faire bonne
impression. C'est sûr qu'avec son noeud de pap' et sa chemise à carreaux
millimétrés, il impressionne grandement le service.
Derrière ce visage de grand
poupon se cache une boule d'hormones en formation qui déglutit à chaque fois
qu'une femme s'approche trop près. L'espèce féminine est d'ailleurs une source
inépuisable d'observation pour ce jeune stagiaire qui en fait son
principal sujet d'étude. Comment vivent-elles, que mangent-elles, qu'est
ce qui les fait rire, à quoi pensent elles quand la nuit tombe et que les
esprits s'échauffent et que... Enfin bref euh... je veux dire... c'est
forcé, d'une manière ou d'une autre, y a bien un moment où elles pensent
au... enfin....
Moqué toute l'année
par ses camarades de classe, chahuté parfois, il découvre dans le monde de
l'entreprise, un havre de paix, un cocon familial où on prend soin de lui.
Petit à petit, il se déniaise, au point même de se laisser
aller à mettre un jean (bien repassé) et à laisser en dehors la chemise
de son pantalon. Il est sûr d'être devenu un homme, un vrai alors
qu'il fait juste moins coincé.
A la fin de son séjour, il
offrira quelques délicieuses parts de cake que sa mère lui a expressément
préparé. Sa mère qui ne cesse de l'appeler durant son stage pour savoir s'il
s'en sort bien, s'il ne sue pas trop, s'il peut noter la liste de courses, s'il
a pensé à acheter des croissants pour se faire apprécier et qui l'engueule
parce qu'il n'a pas osé acheter une rose pour chaque femme du service
alors que ce n'est que comme ça qu'il peut espérer revenir pour une
prochaine saison.
Le jour de son départ, il
tient absolument à faire la bise à toutes les femmes présentes. Un contentement
érotique qu'aurait aussi apprécier les hommes du service plutôt que de
serrer ses mains qui collent étrangement.
La chiante-chiante
"Tu me
respectes, je te respectes d'accord ?! Si tu me respectes pas, je te respectes
pas, c'est compris ?"
Elle a l'allure caillera,
mâche des chewing-gums avec l'air d'une vache, passe ses journées à envoyer des
textos, à remplir son skyblog, à dire "c'est clair",
"grave", "ça me gave", "je me fais
iaich'" et à se plaindre que ses potes sont tous à la plage tandis
qu'elle crêve dans cette ambiance de vieux. Elle n'arrête pas de rembarrer
son copain qui ne cesse de la vexer au téléphone, à regarder ses mèches
qu'elle coupe avec les fournitures de bureau, à se répéter les paroles de
Diam's dont elle aimerait être la soeur spirituelle.
"C'est clair,
demain je le largue", dit-elle constamment à propos de son mec au point
que plus personne n'y prête attention. Parfois elle a des fights
violents avec lui sous prétexte qu'il s'éclate loin tandis qu'elle
s'emmerde ici. Elle rêvait d'un été mortel, elle se retrouve dans un enfer
climatisé qui lui permettra d'acheter quelques fringues, quelques Cds, quelques
affaires qui ne regardent qu'elle. En attendant, elle remonte la capuche de son
Sergio Tacchini et fait semblant de dormir pour faire passer le temps sans
être dérangée.
En plus de se donner un
genre, la chiante chiante gonfle tout le monde, met une mauvaise ambiance et ne
fait sourire que son père, le boss qui voit en elle la petite fille qu'elle a
un jour été.
Plus tard dans sa life,
elle se verrait bien faire un clip avec des mecs canons et des filles qu'ont du
staïle. Parfois à l'heure du midi, elle improvise une chorégraphie et sort
les paroles de ses premiers peura qu'elle griffonne pour faire passer
le temps.
Elle devient agréable
quand elle se rend compte que vous connaissez peut être le fils du
frère d'un ami qui connait des gens bien placés dans une major. Par
contre, elle ne peut vraiment pas encadrer les autres femmes du service,
tous des putes qui se la pètent sous prétexte qu'elles ont une situation
et des responsabilités. De par sa filiation, elle prétend connaître tous
les secrets de l'entreprise mais cherche encore quelle est celle qui a
couché avec son père et par la même, accéleré le processus de divorce
de ses parents.
Au final, la chiante
chiante ne sourit que quand elle voit une photo de son bébé Kiki, un rotweiller
nain qu'elle s'est mis en fond d'écran et qu'elle ramène de temps en temps pour
effrayer ses collègues. Quand elle partira, on changera le ficus mort sous les
crocs de Kiki la peste.
L'été se termine, les stagiaires migrent vers d'autres études. Votre bureau retrouve enfin cet univers de quiétude propice à la productivité. L'année prochaine peut être aurez vous d'autres catégories de stagiaires. En attendant, il vous faut ramasser les dernières crottes que l'adorable Kiki vous a légué sous votre siège de bureau.